Je suis avec intérêt depuis quelques années le travail de Sophie Vissière autour de l’album jeunesse, principalement aux éditions hélium, entre Le Potager d’Alena, primé à la Foire du livre jeunesse de Bologne, La Belle Équipée, déjà chroniqué ici, ou plus récemment Le Petit Livre des Grandes Choses, désigné Livre pour Grandir par le Val de Marne en 2023, offert pour toutes les naissances de l’année dans le département, et dont le livre dont nous parlons aujourd’hui est le pendant.

Avec Le Grand Livre des Petites Choses, l’autrice continue sa revisite de l’imagier, livre à contrainte le plus classique de la littérature jeunesse tant il est utilisé depuis bien longtemps autant par les familles que les professionnel.les de la petite enfance pour faire découvrir aux tout petits le monde qui les entoure ou qui leur est étranger en développant leurs explorations et leur vocabulaire. Un imagier est, par nature même, orienté par la vision de son auteur.ice, ses choix, ses représentations, leur ordre d’apparition et les résonances qui en découlent, mais aussi par l’usage qu’en feront les enfants-lecteur.ices ainsi que les adultes-médiateur.ices. Ici, l’on suit un groupe d’enfants à la crèche à chacune de leurs sorties, en témoignent leurs gilets jaunes caractéristiques rehaussés d’un pantone fluo.

Après une première double-page sur le départ des enfants et de leurs éducatrices s’apprêtant à monter dans un mini-bus, chaque double-page suivante présente un lieu où ils s’arrêtent, le jardin public, la bibliothèque, le musée, la ferme ou même le bord du chemin. S’en suivent une dizaine de décors, sur le fond crème des pages, prenant une belle ampleur dans ce livre de grand format, comme son nom l’indique, que l’on se plaît à regarder à plat au sol pour mieux en observer tous les détails. C’est qu’une connivence se crée entre les enfants-personnages, bien présent.es au premier plan de chaque scène, et les enfants-lecteur.ices, les premier.es jouant, dessinant ou mangeant et parfois regardant ces grands décors, qui peuvent même dépasser du cadre des pages, dans lesquels ils prennent place et vivent.

S’ils s’intéressent aux petites choses souvent invisibles aux adultes, tout comme les enfants-lecteur.ices, ils profitent et découvrent pour autant à leurs façons ces riches endroits où ils sont emmenés parfois pour la première fois. Le point de vue est alors celui de ces jeunes enfants toujours en mouvement et en découverte, comme si l’imagier ici illustrait, par mise en abîme de la représentation de ces enfants à différents âges de la petite enfance, l’effet qu’il pourrait avoir sur des tout petits. Les grandes illustrations de Sophie Vissière constituent alors un réel imagier par le regard que l’on y porte autour de ces lieux de la prime enfance et de ce qui les compose, mais un imagier en mouvement cherchant la représentation de son effet de découverte. Les illustrations sont réalisées principalement aux pochoirs par des couches successives de gouache apposées avec des rouleaux en mousse apportant beaucoup de texture aux couleurs franches et développant un effet proche de la sérigraphie. Certains endroits sont de plus rehaussés d’un subtil travail aux crayons de couleurs dans les même teintes. Un aspect doux, voire suranné s’en dégage, pouvant par moment faire penser aux illustrations de Nathalie Parrain.

Chaque double-page présente l’illustration en très grand format sous laquelle est inséré un large cartouche de texte sur fond mauve avec, sur la page de gauche, le lieu précédé de la proposition « à » indiquant le mouvement d’y aller, l’aspect vivant et non statique de ces lieux. Sur celle de droite apparaît à chaque fois une liste de quatre mots se référant à des choses à voir dans les illustrations, reprenant le principe classique de l’imagier mais s’attachant à ce qui peut sembler insignifiant pour des adultes pour caractériser l’endroit en question, comme une gourde, une petite chaise, un ballon ou un caillou. Là est toute la finesse de ce point de vue enfantin adopté par l’autrice cherchant par là l’appropriation de chaque lieu par de jeunes enfants. C’est que les enfants aussi ont leur place dans l’espace public qu’il peuvent habiter à leur façon.

Ce regard d’enfant découvrant le monde, plus que d’adulte présentant le monde tel qu’il veut le faire découvrir aux enfants, en s’attachant à tant de petites choses, transforme l’imagier en livre-jeu de cherche et trouve pour les enfants-lecteur.ices aux regards aussi curieux que les personnages avec lesquels on apprend à se repérer dans l’espace et dans les images. L’on peut aussi suivre un enfant ou un autre, développer une histoire par leurs interactions au fil des pages dans ce livre dont la sobriété du dispositif recèle d’une grande richesse à l’usage.

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